|
J’apprends la nouvelle à l’instant. Les Russes sont à 100 km de Berlin. On dirait qu’un événément décisif est sur le point de se produire. La destruction et les malheurs effroyables produits par cette guerre s’aggravent d’heure en heure : la destruction de ce qui devrait être (et l’est effectivement) la richesse commune à l’Europe, et au monde, si l’humanité n’était pas aussi abrutie, richesse dont la perte nous affectera tous, vainqueurs ou non. Et pourtant les gens exultent en entendant parler des files interminables, de 60 km de long, des malheureux réfugiés, femmes et enfants affluant vers l’ouest, mourant sur la route. Il semble ne plus y avoir aucun ressort de miséricorde ou de compassion, ni d’imagination, en cette heure sombre et diabolique. Par cela, je ne veux pas dire que ce ne soit pas, dans la situation présente – pour l’essentiel (mais pas totalement) créée par l’Allemagne –, nécessaire et inévitable. Mais pourquoi exulter ? Nous étions censés avoir atteint un degré de civilisation dans lequel il pouvait encore être nécessaire d’exécuter un criminel, mais non d’exulter, ni de pendre femme et enfant à côté de lui tandis que la foule orque hue. La destruction de l’Allemagne, fût-elle 100 fois méritée, est l’une des plus effroyables catastrophes mondiales. Mais bon, toi ni moi n’y pouvons rien. Ce qui devrait donner la mesure du degré de culpabilité que l’on peut légitimement imputer à tous ceux qui vivent dans un pays sans être membres de son Gouvernement à proprement parler. Donc la première Guerre des Machines semble toucher à son dernier chapitre, sans conclusion – en laissant, hélas, tout le monde plus pauvre, beaucoup dans le deuil ou blessés, et des millions, morts ; et une seule chose qui triomphe : les Machines. Puisque les serviteurs des Machines deviennent une classe privilégiée, les Machines vont être infiniment plus puissantes. Que vont-elles faire ensuite ?
|