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A sa qualité de sagamo, Membertou joignait celle d’autmoin (shaman). Contre présents, il vaticinait sur l’issue de la chasse ou de la guerre. Appelé auprès des malades, il soufflait sur eux pour éloigner le démon, dansait, se démenait, présidait à des cérémonies plus étranges encore et se prononçait sur le rétablissement ou la mort prochaine du patient. Le prestige de l’autmoin doublait celui du sagamo et lui donnait une autorité particulière dans les conseils. Habitant une région excentrique et sans intérêt pour les pêcheurs français, Membertou se trouva subitement en vedette, lorsque Du Gua de Monts vint s’installer à Port-Royal, en 1605. Être l’hôte des Européens, à portée immédiate de leurs marchandises, était un avantage fort envié par tous les sagamos. La jalousie de ses congénères a valu au vieux chef le « renom d’estre le plus meschant et traistre qui fut entre ceux de sa nation », d’après Champlain. Mais ce jugement intéressé est compensé par l’estime profonde des Français. « C’a esté, écrit le père Biard, le plus grand, renommé et redouté sauvage qui ayt esté de memoire d’homme : de riche taille, et plus hault et membru que n’est l’ordinaire des autres, barbu comme un françoys, estant ainsy que quasi pas un des autres [sinon les sagamos] n’a du poil au menton ; discret et grave, ressentant bien son homme de commandement », il montra une fidélité indéfectible à ses alliés européens. L’habitation de Port-Royal, abandonnée à sa garde durant trois ans, ne subit aucune dilapidation. Sa touchante amitié envers Jean de Biencourt de Poutrincourt apparut bien dans sa dernière harangue, mais aussi dans toute sa conduite à l’égard du gentilhomme.
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